Carnet de route de Chine


 

 


Chine – «Wo bù dong»

Je ne comprend pas... La phrase clé de notre séjour ! Voyager en Chine c’est d’abord plonger dans un monde déroutant où les repères sont bousculés : langue, codes sociaux, règlements et même sanitaires… ici tout est différent. Nous n’avons toujours pas compris !!!

Au delà du choc culturel, nous sommes tombés sous le charme de l'empire du milieu : ses reliefs somptueux, sa cuisine savoureuse, ses villes riches d’histoire et surtout ses chinois très... chinois ! Rencontre avec le peuple le plus « français » de l’Asie...

 

Chine du sud - La voie verte

    Arrivée : le 12 avril 2004, un jour plus tôt que prévu. C'est notre anniversaire de mariage. Quel beau cadeau ! Rien que le passage du poste frontière est jouissif. Coté vietnamien : 4 types qui fument et lisent leur journal, faisant semblant de ne pas nous voir pour nous faire poireauter un peu (des caricatures de caricature). Coté chinois : des gardes frontières charmants qui nous aident à remplir les papiers. L'un d'eux parle quelques mots de français, il nous apprend à prononcer correctement « Merci » en chinois : « Chiez Chiez ». Ca ne s'invente pas ! On va bien rigoler en Chine !!!!

La Chine du sud, c'est le paradis du vélo : circulation quasi-nulle en campagne, larges pistes cyclables en ville et surtout des paysages grandioses : collines, montagnes, rizières. Nous longeons les mythiques rives du Li-Jiang près de Guilin. Les étonnantes formations karstiques de la région inspirent depuis longtemps peintres et calligraphes.

 

     De grandes formes grises déchiquetées encadrent un tranquille cours d'eau aux rives verdoyantes. Il fait un temps superbe. Nous lézardons au bord du fleuve, observant les buffles prendre paisiblement leur bain. Nous prenons le temps de vivre, n'effectuant jamais plus de 80 à 100 km par jour (des vacances en somme !).

Le point d'orgue du trajet est sans conteste la région montagneuse de Longsheng. Les reliefs qui entourent la ville ont été découpés en terrasses pour la culture du riz et du thé. Nous randonnons sur « l'épine dorsale du dragon » au milieu des rizières, admirant de saisissants panoramas sur les formes géométriques dessinées par les hommes. Les minorités locales qui cultivent ces champs insolites habitent de grandes maisons en bois construites sans aucun clou. Elles portent encore leurs habits traditionnels multicolores.

     Les différences sont saisissantes entre la vie difficile de la campagne où les paysans retournent la terre avec des charrues tirées par des buffles et la modernité insolente des métropoles. Nous sommes déçus par les premières villes que nous croisons : Nanning, Liuzhou, Guilin... Les vieux quartiers ont été détruits et remplacés par des gratte-ciels toujours plus hauts et des centres commerciaux rutilants. C'est bien entretenu, dynamique, agréable à vivre mais il manque tout ce qui faisait le charme des villes de Malaisie : lampions, portes décorées et autres chinoiseries... Aucun temple empli de l'agitation des fidèles brûlant de l'encens. Révolution culturelle et Communisme ont porté un coup dur aux vieilles traditions. Pour un peu, on se croirait en Occident... mais un détail fait souvent tout basculer : tortues vendues entières en barquette (précuites ou vivantes) dans les supermarchés, poudre de pénis bovins pour la virilité, chauves-souris, serpents et lézards séchés dans les pharmacies les plus modernes…

     Au début, nous trouvons les chinois réactifs et malins. Malgré les difficultés de langue, ils comprennent au quart de tour, nous prennent en charge dans les restaurants. Trop facile la Chine ! Ça, c'était pour les trois premiers jours... En s'écartant de la frontière, la communication devient plus difficile. Rares sont les gens qui parlent anglais. Même les jeunes ne comprennent pas des mots simples tels que « How much ». Nous nous raccrochons à notre guide et commençons à apprendre des rudiments de chinois. Serveuses, réceptionnistes ou vendeuses gloussent à notre arrivée. Elles se comportent comme des sottes, rigolant et se regardant à chaque phrase montrée sur notre Lonely Planet. Elles ne nous répondent pas, nous laissent en plan comme des imbéciles. Enfin, elles nous lancent de longues phrases incompréhensibles. Comme nous ne comprenons pas, elles nous écrivent des idéogrammes sur un papier, parfois sur leur main !!! Au début on en pleure de rire... à force ça finit par être agaçant !!! La moindre situation devient compliquée. Nous souhaitons goûter des raviolis dans une cafétéria. Pour faire simple, nous montrons le plat d'un monsieur qui en contient 3. Une demi-heure de tergiversations plus tard, on finit par nous servir 18 raviolis... pour 3 Yuans !!! C’est trois fois trop...

     Même dans les villes les plus modernes, nous sommes constamment observés. Certaines personnes nous regardent comme si nous étions les premiers occidentaux qu'elles voyaient. Un vieux monsieur vient nous serrer la main à Nanning : « very good ! » Beaucoup nous photographient, nous collant leur petit dernier dans les bras... Dans la ville de Luzhai, nous mangeons au restaurant sous les regards ébahis d’une vieille dame et sa fille, le nez collé derrière la vitrine. Elles nous observent en se tapant du coude : « oh la la, oh la la ! des blancs dans un restau, oh la la... ». Quels curieux ! Dès que quelque chose bouge dans la rue ils accourent. Alors imaginez lorsque nous réparons une crevaison... Difficile aussi d'avoir de l'intimité quand il s'agit d'effectuer un retrait au DAB...


     En même temps, ils sont drôles, sympas, un brin paillards, ont un vrai art de vivre et une culture très riche. Même dans la campagne profonde les gens reconnaissent notre drapeau : « Faguo », « Pali » (Paris). La France n'est pas un si petit pays ici. On retrouve la Tour Eiffel partout : étiquettes de jus d’orange, antennes sur les immeubles, chewing-gum LaFrance... On se sent bien en Chine.

Xi’àn : terminus de la route de la soie

     La période des moussons arrive un peu plus tôt cette année. Nous en avons marre de pédaler sous la flotte. Nous prenons l'avion pour le Nord.

     Dès notre arrivée à l'aéroport, nous nous sentons dans un autre pays, complètement dépaysés. Les chinois d'ici sont physiquement très différents de ceux du sud : ils sont grands, ont le teint clair et des yeux très bridés. Nous sommes moins observés dans la rue, sauf quand nous sommes avec le tandem. Là c'est la foire : très vite nous nous retrouvons entourés de badauds. Ils veulent savoir plein de trucs : où allez vous, d'où venez vous ? comment marche ce vélo... ? Certains prennent nos gourdes argentées pour des moteurs électriques !!! Nous n'étions plus habitués à tant de monde autour de nous. Nous le gérons facilement, tellement ils sont sympas et souriants. Jamais nous ne nous sommes sentis aussi frustrés de ne pas parler la langue du pays ! Nous avons beaucoup de succès avec nos « Ok », qui les font exploser de rire. « Okaaay, okaaay! » répètent-ils hilares à la manière de Jacquouille des Visiteurs.

    Xi’àn est une ville captivante. Nous y trouvons ce qui nous à manqué dans le sud : des temples, des lampions, des chinoiseries partout et puis l'atmosphère unique des quartiers populaires. Ancienne capitale de la Chine et étape majeure sur la route de la soie, Xi’àn a gardé de sa splendeur passée : des ruelles tortueuses, des échoppes à l'architecture soignée, des fortifications, des pagodes, des dragons de pierre et les vestiges d'un caravansérail. De vieux chinois jouent aux cartes à l'ombre des acacias tandis que d'autres s'exercent à la calligraphie. Les vendeurs ambulants tirent de grosses carrioles débordantes de fruits alléchants...

    Les enfants font voler des cerfs-volants. Nous croisons même une vieille dame aux pieds bandés avançant péniblement sur les pavés. Et puis il y a le quartier musulman, qui grouille de vie. Il nous évoque Istanbul avec sa mosquée, son souk et ses stands de brochettes de mouton qui fument. Coiffés d'un keffieh blanc, les Ouïghours ont un type très spécial: mi-turc, mi-chinois. Certains ont les yeux bleus et nous croisons même un « rouquin » aux yeux bridés !

     C'est également à Xi’àn que l'on trouve la célèbre armée enterrée en terre cuite. Vieille de 2000 ans, elle comporte 6000 soldats disposés dans des galeries souterraines pour protéger la tombe d’un empereur. Nous passons une journée sur ce site magique, repensant aux mots d'un archéologue danois rencontré à Guilin: « je me suis senti comme un petit garçon... fasciné par la folie mégalomane d’un empereur décadent qui rêvait d'immortalité... des milliers de soldats en terracotta sont restés pendant 2000 ans sous terre attendant l'ennemi, immobiles dans l'obscurité pour protéger la tombe de leur roi... ».

    Nous rencontrons un groupe de touristes français. Sympas comme tout, mais quels bidochons ! Leur guide ne serait pas une vraie guide mais un agent du gouvernement posté avec eux pour les surveiller... C'est vrai qu'ils ont l'air dangereux avec leurs bobs et leurs chaussettes dans leurs sandales... Ils nous apprennent également que nous n'avons pas le droit de visiter la Chine en vélo... C'est vrai, ils l'ont vu a la télé ... !!!

    Mais Xi’àn, c'est aussi des mendiants, des pickpockets, des gosses des rues et des manchots qui peignent avec leurs pieds sur les trottoirs. Les prostituées abondent, installées à la porte d'un petit « salon de coiffure ». Il y a la glace, les fauteuils, les shampoings et... un grand rideau dissimulant un lit, le tout éclairé de lumières roses... Tout est moins pimpant, aseptisé, mais peut être aussi plus authentique et révélateur des profondes inégalités sociales qui se sont installées en Chine avec le capitalisme.

De Xi’àn à Pékin : Au cœur de la Chine

     Nous profitons de la halte pour faire renouveler nos visas puis partons en direction de Pékin à 900 km. Nous passons d'abord par des paysages de plateaux de Lœss. Ces derniers sont entaillés de profonds ravins à pic qu'il nous faut toujours descendre pour remonter aussitôt. Les reliefs sont recouverts de terre rouge farineuse et parsemés de maisons troglodytiques. Aussi impressionnant que les cheminées de fée de la Cappadoce Turque ! 

     Nous rencontrons un sacré succès dans les villages qui ne voient pas souvent passer de touristes, à fortiori rarement de « laowai » en tandem !!! Pas possible de s'arrêter prendre un coca dans un village sans provoquer un attroupement de 40 à 50 personnes. Nous sommes vraiment au fin fond de la Chine. Les chinois sont rigolos, souriants, serviables et gentils mais .... qu’est ce qu’ils nous saoulent !!! Toujours pas moyen de faire simple avec eux. Il n’a jamais été aussi difficile de prendre une chambre d'hôtel ou de manger une soupe aux nouilles dans un restaurant (et encore, nous connaissons quelques mots de base et comptons désormais en chinois...). La recherche d'un hôtel devient une corvée. « Il y a une chambre » puis cinq minutes après « il n’y en a plus ». « Il y en a une mais pas pour vous... nous n'avons pas le droit d'accepter les étrangers ». « Une place sûre pour votre vélo ? oui bien sûr, mettez le sur le trottoir ! ». Assez des « Méi you », « Méi you », « MÉI YOU » (ie « non il n'y en a pas »... « va voir ailleurs »... « barres-toi ») ! Nous sommes épuisés moralement et physiquement.

    Aux magnifiques plateaux de Lœss succèdent des kilomètres et des kilomètres de mines et d'industries. Nous pédalons au milieu des camions chargés de charbon. Ils roulent comme des fous et klaxonnent à tout va. Ca pue, nous sommes noirs des pieds à la tête, on en a marre. Nous nous réfugions dans la vieille ville impériale de Pingyáo, une cité fortifiée parfaitement conservée... le « Carcassonne » de la Chine. De là, nous prenons un bus pour Pékin. Pas question d'arriver en retard, de joyeuses retrouvailles nous attendent!

Pékin : Nous retrouvons les parents!

     Le 20 mai, nous retrouvons nos 4 parents et Benjamin, le frère de Seb. Ils ont dans leurs bagages du saucisson, du pâté, du Pastis et du Martini. Nous ayant trouvé un peu amaigris sur les photos (nous avons perdu 12 kilos à nous 2), ils ont lancé une offensive gavage des chers pauvres petits. Nous commençons les réjouissances par un apéro... il est 7 heures du matin en France !

    Nous visitons les incontournables de la ville: Palais d'été, Temple du Ciel, Place Tiān’ānmén... Un seul mot sur nos lèvres: Magnifique ! Nous tombons sous le charme austère de la somptueuse Cité Interdite : ses grandes cours qui nous promènent de palais en palais, ses escaliers de marbre blanc qui contrastent avec le rouge des bâtiments...

Nous revivons les scènes mythiques du Dernier Empereur. Tout nous éblouit ! Nous escaladons une partie de la Grande Muraille avant d'en redescendre ... en toboggan ! Nous restons plus dubitatifs sur le mausolée de Mao : le visage du « Président » est éclairé d'une lanterne jaune fluo, on dirait un vers luisant...

Pékin est une ville très dynamique, en pleine reconfiguration pour les Jeux Olympiques. Les grues sont partout, les buildings ultra-modernes poussent comme des champignons.

 Les rues sont aérées, ombragées et très propres. A coté des gratte-ciel subsistent encore quelques vieux quartiers de hutongs (pour peu de temps encore, si on se fie à l'agitation des pelleteuses).

     Ces ruelles tortueuses aux petites maisons grises sur cour sont l’âme populaire de la ville. On y vit encore a l'heure de la Chine profonde, celle que nous avons rencontrée sur notre route : étals de bouchers en plein air, joueurs de Mah-jong... Nos parents y découvrent entre autres spécialités typiquement chinoises :

- les crachats. Les chinois crachent bruyamment et partout : dans la rue, dans le bus, au cinéma…
- les toilettes communes et sans système automatique d'évacuation. Imaginez une simple tranchée ou vous déposez votre contribution à un édifice en décomposition très malodorant, le tout sous le regard de 2 chinois accroupis comme vous... beurk!
- les bébés aux culottes fendues. Les pantalons des enfants sont découpés de manière à ce que le petit puisse faire ses besoins sans avoir à être déshabillé... ils se baladent donc cul nu ! Impudeur surprenante pour nos yeux d’occidentaux...

    Pour les « cyclochards » que nous sommes, c'est aussi 10 jours de luxe, cajolés par nos parents adorés (et adorables, il va sans dire !) : Hôtel 4 étoiles, taxis, pousse-pousse (non, nous ne pédalons pas !), et restaurants gastronomiques.  Nous dégustons un mémorable canard laqué dans l'institution de Pékin, le restaurant Qianmen Quanjude. Yasser Arafat, Fidel Castro et le Chancelier Kohl y avaient mangé avant nous, ça ne pouvait que nous plaire !

    Début juin, nous quittons les parents et notre petite vie de luxe a regrets. Direction le terminal des Ferries via Tianjin, pour la Corée, « le pays du matin calme »...